dimanche 11 juin 2017

MeuuuH non !

(Fable de la vache folle)

Il était une fois dans une vaste prairie balayée en permanence par de forts vents du sud ouest, une pauvre vache laitière à la robe blanche tachetée de noir prénommée Hortense.

La pauvre vache meuglait à pie fendre. Pas la moindre petite brindille à brouter. Que des lichens et des cailloux, qu'elle avait déjà léché plus de cent fois avec sa grosse langue fissurée. Même les mouches n'osaient plus s'aventurer sur ses bouses rachitiques et dures comme du ciment au sortir de son anneau pylorique irrité.

Quand on sait qu'une vache normale mastique en moyenne de cinquante à soixante dix fois par minute et qu'elle maintient ce rythme effréné pendant des périodes de dix à douze heures d'affilé pour un grand total de quarante à quarante-cinq mille mouvements de mâchoires par jour, on ne peux que plaindre la pauvre Hortense, réduite à quelques mastications éparses au gré d'hirsutes touffes de mauvaises herbes rencontrées in sine qua non au fil d'errances éperdues.

Cependant que dans le pâturage voisin du sien séparé par un minuscule fil électrifié, un tendre ruisseau glougloutait, dévalait l'abrupt d'une riche prairie semé de pâquerettes et de myosotis en fleurs saturés de pollen que libellules et bourdons survolaient non sans euphorie, à la fois grisés et béats. Des humaines nues y jouaient de la harpe en chantant du Céline Dion tout en sautillant et gambadant allègrement, la brise jouant dans leurs poils pubiens.

Hortense, notre pauvre vache, ne pouvait que constater _ et ce constat la mettait il va sans dire à la torture_ que l'herbe du voisin ainsi que le vieil adage le dit, était vraiment plus verte que celle de son  pâturage. Comme elle aurait aimé s'en repaître jusqu'à en avoir les pis gonflés, que Fernand, le fermier, de ses grosses mains couvertes de verrues plantaires vienne lui tirer sur les trayons jusqu'à l'en vider de son lait.

Heureusement, à la sortie du lit, le matin même, elle avait eu le loisir de se sustenter, surprenant un loup qui rôdait à l'entour des bâtiments, elle avait plongée dessus du deuxième de l'étable et l'avait dévoré à belles dents alors que dans l'aube naissante l'écho cacophonique des clochers des villages des alentours s'emmêlaient dans l'air tiède et gorgé des odeurs de la défécation subite du loup qu'une peur sauvage avait étreint au moment où la mort lui décochait cet irrésistible dernier clin d’œil. Waouuu ! Comme hurlait l'autre, son cousin de meute,  pris quelques kilomètres plus bas dans un piège à ours. Un waouuu cependant vagit du bout d’une pensée, jamais poussé.

Vache qui rit, vache qui pète, vache qui fume la cigarette. Hortense n'était pas vache à se laisser abattre, elle ne finirait pas sur le gril graisseux d'un BBQ au propane de banlieue en hamburger avec une tranche de cheddar fondant sur le dos. Un jour se serait son tour. La vie n'était pas faite que de vacheries. MeuuuH non !

Ce jour là elle regarda bien dix trains passer avant de se décider et de sauter dans un des wagons, galopant un moment, la langue pendante, à côté de la voie, avant de prendre son élan et de bondir dedans, quittant définitivement sa terre de misère, son fermier trayeur myope et puant des aisselles.

Voilà, en peu de mots circonscrite, l'histoire de la vache qui se levant du mauvais sabot, dévora un loup avant de se faire la malle pour le pays des sacs à main et des souliers compensés en cuir véritable.

On raconte que depuis ce matin-là l'herbe a repoussé dans la vallée où habitait Hortense, que monarques et frelons se confondent en virevoltes et autres acrobaties aériennes, que des hommes nus, vieux et bedonnants, à la voix éteinte, tentent de convaincre les femmes nues de l'autre bord de la clôture de venir prendre une tasse de café et des petits fours au babeurre à l’ombre de leurs balancelles.

On raconte bien des histoires, par exemple on prétend que dans la mièvre semence de ces vieillards grisonnants et bedonnants il y aurait certaines toxines qui développées dans un utérus sain risquerait de contaminer la planète d'un nouveau virus encore plus dévastateur que le sida, et qui ferait pousser des poils de culs au cerveau. Entretenue en un milieu humide exceptionnel, cette pilosité cérébrale aura tôt fait  de se propager aux cordes vocales, travestissant la parole en un espèce de borborygme non sans rappeler un meuglement. Meuuuh non !

Pierre Cinq-Mars

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