samedi 31 mars 2018

En voie de désertification


Je suis en voie de désertification. Lentement mais sûrement, l'espace grand ouvert grignote en moi ce qui reste du monde des machines aux yeux peuplés d'écrans plats. Je me laisse gagner inexorablement par les sables émouvants du silence et de la solitude qui me conduiront au-delà de moi-même. Je m'abandonne à la caresse vertigineuse du soleil qui m'invite à te rejoindre dans ton absence : puisque tu n'es plus là où je me trouve, pourquoi y demeurerai-je un instant de plus ? Je me perds donc de vue et me retire de celui que je croyais être. Comme la vague dénudant la plage en revenant à l'océan dans son ressac amoureux, je me découvre alors étendue sauvage et vierge de tout passé, inchangée depuis le commencement du temps, qui attendait patiemment son heure.

vendredi 30 mars 2018

Clownerie


Gorgias disait : « Le sérieux de l'adversaire, il faut le détruire par la plaisanterie, et sa plaisanterie par le sérieux. » Il a raison.

Aristote.

jeudi 29 mars 2018

Terre promise


Le désert me traverse sans trêve, de part en part, et je me demande s'il aura une fin. À l'ombre de ton sourire, j'ai cru trouver une oasis et voilà qu'elle est désormais derrière moi tandis que je marche vers ma terre promise. Je la rêve verdoyante comme un lendemain printanier à tous mes hivers, et immense, comme le silence que je ne saurais quitter.

mercredi 28 mars 2018

Nourritures amoureuses

L'essentiel, dans l'enseignement de l'art de la vie, ne peut être perçu par la seule raison. C'est probablement pour cela qu'aux questions vitales que les assoiffés ne peuvent s'empêcher de poser, ceux qui ont goûté, senti, perçu la réponse ne peuvent offrir que des histoires, des contes, des fables, des confidences, des choses un jour vécues, bref ce que j'appellerai, faute de mieux, des nourritures amoureuses. Car il ne s'agit pas de faire comprendre, d'enfermer l'indicible entre les murs de la seule raison, mais de donner à savourer un goût, un parfum, ou d'allumer une lanterne et d'éclairer non pas une de ces réalités incassables et tyranniques dont on ne sait trop que faire, mais une impalpable présence.

Henri Gougaud

mardi 27 mars 2018

Vaisseau de sable


La maison de mon cœur, qui t'était toute ouverte, est devenue maintenant que tu l'as désertée, un vaisseau de sable. Le vent passe et efface tout, même la trace de ton sourire - qui l'eut cru ? Il ne reste rien que les os de l'âme qui ont blanchi sous le soleil et brillent comme or vivant dans la nuit. Ce sont semences d'étoiles que la vie emportera. Ailleurs.

lundi 26 mars 2018

Accoucher de l'oasis

Aucune vie ne saurait être précieuse si on ne sait pas rêver, aucun mirage ne saurait accoucher de l'oasis si on ne sait pas déceler dans la nudité du Désert de quoi habiller notre âme et épurer notre esprit.

Yasmina Khadra

dimanche 25 mars 2018

Âne heureux


Elle est pas belle, la vie ?

Rivière sous la rivière


Je marche la rivière sous la rivière et je travaille la pierre dans la pierre. Je suis désert dans le désert, ciel qui enfante le ciel en lui-même. J'ai un œil dans mon œil, une oreille dans mon oreille, un pied dans mon pied, une main dans ma main, et je me perds dans le Cœur qui est dans mon cœur.

vendredi 23 mars 2018

Anneau d'or

Quel est ce mot 
et son poids de remords

quel est ce doute
qui brise nos accords

quelle est cette bête
qui déchire nos corps

quel est ce poison
qui nous endort

quel est ce doigt
qui laisse échapper
l'anneau d'or

quel est ce fragile
espace au dehors

n'est-ce pas la mort
qui implore sa part 
d'aurore

Cygne blanc

mercredi 21 mars 2018

Le parfum de la force aimante

Ce n'est pas la rigueur qui te conduira où tu veux aller, ce n'est pas l'ascèse, ni la souffrance, ni ce que tu crois avoir compris. C'est l'épice. Le parfum de la force aimante.

Henri Gougaud

lundi 19 mars 2018

Le silence de nos pas

adieu
est-ce le salut
adressé au divin
est-ce un rendez-vous
pour l'éternité

je cherche à partir
sans souffrir
tout doucement sur
le bout des lèvres
sans dire ou contredire

adieu 
le petit mot qui 
sent la mort
le passage obligé
la sortie où s'engouffre 
le vent du large

adieu
je voulais dire 
au revoir mais
un fragment de seconde
je t'ai oublié 
toi qui trembles qui frémis
dans l’insupportable

cette chose 
s'est échappée de moi
l'insaisissable peut-être
je ne sais
toi tu demeures 
dans le silence
                    de nos pas

Cygne blanc

jeudi 15 mars 2018

Joie sans demeure


La vie est tigre bondissant par-dessus nuits d'obsidienne et matins de cristal. Le but, mon ami, puisqu'il faut un but à l'esprit, est la joie sans demeure.

mardi 13 mars 2018

Errance du regard


Il y a des lumières dans la substance de Dieu. Il y a des milliers de ciels dans le ciel. Il y a des milliers de jours dans le jour. Il y a trop à voir pour ne pas se perdre. L'enfant court tous les chemins. Il emprunte toutes les rivières. L'errance de son regard est infinie.

Christian Bobin

lundi 12 mars 2018

La fleur de l'éternité

J'ai le cœur labouré par ton absence. Elle y a creusé profonds les sillons du temps, où suinte le sang de mes jours qui se mêle à la boue de mes nuits. J'y sème le grain de la patience qu'irriguera la lumière de l'amour qui ne se dément pas. Ce qui y poussera n'a cependant rien à voir avec toi : la fleur de l'éternité n'a pas de visage mais elle éclaire tout l'univers d'un sourire, à l'ombre heureuse duquel nous récolterons l'or enfant du feu alchimique...

dimanche 11 mars 2018

Possibilités obscures


Les problèmes vitaux les plus graves et les plus importants sont tous, au fond, insolubles. (…) Ils ne peuvent jamais être résolus, mais seulement dépassés. (…) En observant le processus d’évolution de ceux qui se dépassaient eux-mêmes en silence et comme inconsciemment, je vis que leur destin avait un trait commun : la nouveauté venait à eux de possibilités obscures, ils l’acceptaient et se dépassaient grâce à elle. Je considérai comme typique que les uns la reçoive du dedans, et les autres du dehors, ou plutôt qu’elle émane du dedans pour certains et du dehors pour les autres. Jamais cependant la nouveauté n’était chose purement extérieure ou purement intérieure. Si elle venait de l’extérieur, elle devenait expérience intime ; si elle venait de l’intérieur, elle devenait événement extérieur. Pourtant, elle n’était jamais provoquée de façon intentionnelle et consciente, mais elle s’avançait, portée sur le fleuve du temps.

Carl G. Jung

vendredi 9 mars 2018

Y'a une route


Y'a une route.
Tu la prends. Qu'est-ce que ça te coûte?
Y'a une route.
Y'a même un chien qui court,
La tête entre les mains.
Y'a une route.
Tu sais, y'a pendant des années
Des gens qu'ont vécu le dos tourné
Sur une route abandonnée
Avec des marronniers sauvages
Qui jettent leurs fruits plein le paysage.
Y'a une route comme une blessure.
On verrait l'os de ton visage.

Y'a une route.
Y'a une route
Avec des champignons qui poussent
Et qui font la neige et la mousse.
Y'a une route qui coupe la brousse.
Y'a une route emplie d'oiseaux
Aux yeux malades
Qui regardent vers l'équateur
D'où vient la fumée qui fait peur,
D'où vient la fumée qui fait peur.

Y'a une route.
Y'a une route.
On marche dessus. Y'a pas de tapis
Y'a des fleurs comme des anémones
Qu'attendent la pluie.
Y'a une route.
Tous les dix ans, y'a un marin
Qui jette l'ancre au café du coin,
Qui parle de voyage et plus loin,
Après la route, faut prendre le train.
Tu descends dans le petit matin
Avec ta valise à la main.
Y'a tellement de bruit que t'as plus d'oreilles
Pendant que la fumée mange le ciel.

Puis finalement tout est pareil parce que
Y'a une route.
Tu la longes ou tu la coupes.
Tu t'allonges et te passe dessus
Ou tu te lèves et on te tire dessus.
Y'a une route. C'est mieux que rien.
Sous tes semelles c'est dur et ça tient.

Gérard Manset

jeudi 8 mars 2018

Voie insondable

L’angoisse d’un être lui montre toujours la tâche à accomplir. Si vous l’esquivez, vous avez perdu une partie de vous-même, et une partie problématique à l’extrême, de surcroît, par laquelle le Créateur de toutes choses veut faire une expérience, à Son insondable manière. Ses voies ont de quoi provoquer de l’angoisse. Surtout tant que vous n’êtes pas en mesure de voir plus profond que la surface.

Carl G. Jung

mercredi 7 mars 2018

Mots précieux

Ecrire, c'est prendre les mots un par un et les laver de l'usage abusif qui en a été fait. Il faut que les mots soient propres pour pouvoir être bien utilisés. Ce travail là est le premier. Les mots Dieu ou amour ont traîné partout, et pourtant ils sont trop précieux pour qu'on les abandonne. 

Christian Bobin


mardi 6 mars 2018

Question existentielle


Le sens de mon existence est que la vie me pose une question. Ou inversement, je suis moi-même une question posée au monde et je dois fournir ma réponse, sinon je suis réduit à la réponse que me donnera le monde.

Carl G. Jung

lundi 5 mars 2018

Ouverture

Harrison, Lesley - Horse at Ocean

Grâce à la poésie, notre existence, au lieu d'être une clôture étouffante, rejoint l'ouvert.

François Cheng

samedi 3 mars 2018

Intersticiel

Je me glisse dans l’interstice entre les choses de la vie. Je suis l’inattendu qui frappe à la fenêtre en pleine nuit pour te rappeler à l’espace ouvert de l’autre côté du réel. Je me tiens dans l’immobilité du vent quand il se penche sur ton sommeil et sourit. Je brûle dans la fièvre qui saisit les amants quand ils pressentent la venue de l’aube assassine de tous les lendemains. Je te nargue dans la main tendue que tu ignores sans savoir combien elle te serait douce si seulement tu l’embrassais. Je suis l’inopportun que jamais tu n’envisages car je demeure derrière la prunelle de tes yeux, où je t’espère patiemment. Je me retrouve sans trêve dans le rire de l’enfant qui réchauffe la vieille âme entrée en agonie. Je t’invite à te fondre dans le balancement lent des branches qui déshabille le temps pour rejoindre le scintillement heureux de la rivière. Je luis dans le sexe nu qui s’offre, impudique comme l’immensité vierge de l’océan. Je suis le remède inaccessible à tous vos maux ; je suis partout et cependant nul ne saurait me saisir car je coule comme la lumière qui danse vertigineuse dans l’eau. Je m’agenouille en prière muette dans l’étonnement qui suit la fulgurance radiante au creux des reins, dans l’éblouissement de la première étreinte. Je vibre dans le regard du fauve qui entrevoit la liberté et dévore sans état d’âme le rouge soleil du matin. Je suis l’invisible autour duquel le monde tourne depuis toujours, sans lequel il s’affaisserait sur lui-même comme une toupie sans élan, désertée par le frémissement du vivant.

vendredi 2 mars 2018

Silence de la neige

Il y a un bon silence, c’est celui de la neige, c’est celui d’une bougie, c’est celui des poèmes. Et puis il y a un mauvais silence, c’est celui qui laisse fleurir une blessure depuis longtemps faite et qui la laisse croître.

Christian Bobin

jeudi 1 mars 2018

Ce qu'il reste de neige



                                   Ce qu'il reste de neige dans nos mains
                                             ce qu'il reste de nous dans la terre
                                         nous l’ensemencerons encore et encore
                              nous sèmeront la blancheur fondante de nos âmes
                                               la chaleur brûlante de nos corps  

                                               j'ai cousu mon âme à mon corps
                                                     il y a quelques décennies
                                                  puis mon corps à mon âme

                                                     de l'aube au crépuscule 
                                                 je porte un habit de lumière
                                                  de l'agonie à la naissance
                                                je porte un habit de lumière
                                       ainsi tu me vois dans ma transparence

                                              neige fondante dans nos mains
                                                      ce qu'il reste de nous
                                               un peu de terre sur nos lèvres

   Cygne blanc